Quand le changement social commence par le changement de soi et comment à partir d’une certaine masse critique, une communauté adopte un nouveau comportement.
L’expression « centième singe » provient d’une expérience liée à l’observation du comportement d’une tribu de singes isolé sur une ile au Japon et faite dans les années 1950 et que Lyall Watson, zoologue et ethologue sud-africain, utilisa dans son livre « Lifetide »
L’histoire est la suivante [1]: le macaque japonais, Macaca Fuscata, fut observé dans la nature durant plus de 30 ans. En 1952, sur l’île de Koshima, les scientifiques commencèrent à donner des patates douces aux singes. Mais ces délicieux tubercules étaient terriblement ensablés, ce qui n’était guère au goût des macaques !
Lmo, une femelle de 18 mois, résolut le problème en lavant les patates dans un ruisseau voisin. Elle enseigna cette astuce à sa mère. Ses camarades de jeu apprirent aussi cette nouvelle façon et l’enseignèrent à leurs mères.
Il s’agit d’une innovation technique et culturelle qui fut transmise, apprise, enseignée et qui fut progressivement adoptée par tous les macaques de l’ile. Les scientifiques ont observé, entre 1952 et 1958, que tous les jeunes singes avaient appris à laver les patates douces pour les rendre plus agréables à manger.
Certains singes adultes qui imitèrent leurs enfants adoptèrent également cette amélioration sociale.
D’autres singes adultes, souvent âgés et sans descendance, conservèrent leur habitude de manger des patates douces pleine de sable.
Fin 1958, ce phénomène de transmission culturelle surprenant prit un tour plus extraordinaire.
En effet, Lyall Watson raconte ceci : « Un certain nombre de singes de Koshima lavaient leurs patates douces — leur nombre exact demeure inconnu. Supposons que lorsque le soleil se leva un matin, il y avait 99 singes sur l’île de Koshima qui avaient appris à laver leurs patates douces. Supposons encore qu’un peu plus tard ce matin-là, le centième singe appris à laver les patates.
Ce soir-là presque tous les singes de la tribu se mirent à laver les patates douces avant de les manger. L’énergie additionnelle de ce centième singe créa une sorte de percée scientifique ! »
À partir de ce constat, Watson initie la thèse de la « masse critique »[2] en affirmant que ce comportement se serait répandu aux singes de toutes les îles avoisinantes sans qu’il y ait la moindre transmission visible et cela au moment où un nombre clé aurait été atteint, le fameux centième singe, à partir duquel l’espèce entière aurait acquis inconsciemment un nouveau savoir.
« … l’addition de ce centième singe amène le nombre au niveau d’une sorte de « seuil », de masse critique, car, le soir toute la population de la colonie procédait de la même manière avec les patates. Non seulement cela, mais le procédé semblait avoir franchi les barrières naturelles et s’être manifesté spontanément, comme le font les cristaux de glycérine dans des récipients scellés d’un laboratoire, jusque dans les colonies d’autres îles et sur les terres dans un groupe de Takasakiyama »[3].
Il y aurait donc eu transmission d’un apprentissage : d’individu à individu, mais aussi d’une communauté de singes à d’autres communautés sans moyen de communication visible entre les singes concernés!!
En 1984, Ken Keyes, Jr., écrivain et conférencier américain, popularisa l’hypothèse dans son best-seller » Hundredth Monkey « , (Vision Books, 1984) et applique le concept à l’ensemble de la société humaine.
The Hundredth Monkey, vers le point critique ( ?)
Lorsqu’on évoque des théories qui tentent de (dé)montrer l’existence d’un phénomène collectif, inconscient ou non, et qui aurait une influence sur nos comportements, il est facile de flirter avec certaines dérives du New Age…
Pourtant, ce phénomène se rapproche de quelques autres thèses telles que celle de Jung sur l’inconscient collectif ou , celles, plus polémiques et plus controversées , de Rupert Sheldrake sur les champs morphiques » ou du « point Oméga » de Teilhard de Chardin
Rupert Sheldrake[3] expliquerait ces transferts par les « champs morphiques » qui seraient déterminants dans le comportement des êtres vivants qui hériteraient d’habitudes de l’espèce par « résonance morphique ». Selon lui, quand » un nombre assez grand d’hommes sur Terre (une « masse critique ») auront accédé à un niveau de conscience élevé, il sera plus simple pour le reste de l’humanité d’y parvenir, que ce soit la lutte contre la pauvreté et la faim, la protection de l’environnement, etc «
Teilhard de Chardin, philosophe et théologien français du XXème Siècle , explique que le « point Oméga » représente l’avènement d’une ère d’harmonisation des consciences fondé sur le principe de la « coalescence des centres » : chaque centre, ou conscience individuelle, est amené à entrer en collaboration toujours plus étroite avec les consciences avec lesquelles il communique, celles-ci devenant à terme un tout noosphérique [4]
De l’individu au collectif
Mais il nous semble intéressant d’interpréter cette histoire du centième singe, au moins sur le plan symbolique.
Le centième singe » peut effectivement servir de parabole et apporter à notre compréhension un phénomène complexe.
Nous sommes nombreux à penser que notre pensée intime, notre vision du monde propre, notre action individuelle, ne peut rien contre la marche du monde.
Nous pouvons avoir l’impression d’être impuissant, mais…, mais si nous étions ce » centième singe », celui qui fait basculer, celui qui permet de rendre possible le changement ?
La parabole du 100ème Singe a le mérite de nous rappeler que la prise de conscience individuelle, adoptée par un groupe même restreint, peut se diffuser et se propager et avoir un impact considérable !
Les nouvelles technologies de communication actuelle favorisent encore plus grandement la rapidité de cette réalité.
Du symbolique au politique
Certes, l’idée d’une prise de conscience collective par l’atteinte d’une masse critique est mise de l’avant par bon nombre d’adepte du « Nouvel Age ».
Si le plan des croyances et des phénomènes collectifs peut ouvrir de nouveaux horizons de pensée, nous pouvons également le transférer ces intuitions sur le terrain social, politique et donc humain.
L’une des figures intellectuelles les plus importantes du XXème Siècle, Hannah Arendt, peut nous permettre de penser cette translation (des pensées aux actes, du symbolique au politique).
Selon Arendt, dès que des personnes se rassemblent pour parler ensemble d’une situation commune et décider d’agir ensemble pour changer cette situation, il y a exercice du politique[5].
Michelle Duval[6], Professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, explicite de quelle façon on peut comprendre la façon dont Arendt définit et caractérise l’exercice du politique :
« … des humains, doués de spontanéité, égaux et différents, appartenant à un monde commun, parlent et agissent ensemble. Examinons brièvement chacun de ces thèmes et voyons comment ils s’articulent ensemble pour composer le politique. Nous verrons par la suite de quelle façon il est possible de les transposer pour fonder une pratique d’intervention visant à favoriser l’agir collectif, l’exercice du politique
Toute l’analyse politique de Arendt repose sur une compréhension des hommes (je préfère, quant à moi, parler d’humains). Le fait que tous vivent sur terre en tant qu’hommes implique des conditions communes d’existence. C’est ce qu’Arendt appelle la condition humaine, qui engendre des «facultés humaines générales (…) qui sont permanentes, c’est-à-dire ne peuvent se perdre sans retour tant que la condition humaine ne change pas elle-même» .
Le nouveau féminisme et autres luttes
Depuis quelques mois, de nouvelles féministes entendent changer la donne et réveiller les consciences. Pussy Riot, Femen … toutes ces jeunes femmes qui brandissent poings et seins – force et fécondité, sont médiatiquement très présentes
Le groupe féministe radical, FEMEN, avec ses actions coup de poing et ses mobilisations de protestation entend faire évoluer les consciences. Ses membres mettent en avant leurs corps fragiles et puissants à la fois, symbole de fécondité, et s’exposent au sens propre comme au sens figuré en tentant de s’opposer aux mentalités dominantes et patriarcales.
Ces femmes revendiquent avec leurs corps. Elles utilisent leur féminité, leur voix, pour défendre les droits humains, la démocratie, la lutte contre la violence (particulièrement faite aux femmes), contre toutes les formes d’oppression et de domination.
Anna Hutsol, la fondatrice du mouvement explique qu’avec Femen a été « inventée une façon unique de s’exprimer, fondée sur la créativité, le courage, l’humour, l’efficacité, sans hésiter à choquer.»[5].
Avec les PUSSY RIOT, un autre groupe d’activiste féministe, les Femen font partie de cette nouvelle vague de féministe qui peut changer la donne.
Et d’une manière plus vaste encore :
Nos mentalités et nos comportements peuvent et doivent changer pour sauver ce qui peut encore l’être sur cette Terre que nous maltraitons par une mentalité absurde et égoïste. Nous scions la branche qui nous porte, nous tuons le ventre maternel qui nous fait grandir !
Nous sommes engagés dans une course contre la montre.
Certains sont prêts à tout au nom de Dieu, du profit, du pouvoir ou pour conserver leur mode de vie aussi inadapté que gaspilleur, même si cela conduit à la destruction du monde.
A l’opposé, d’autres cherchent avec obstination des solutions valables aux problèmes humains, sociaux, économiques, écologique et politiques de notre planète.
Pour moi, ces derniers incarnent une conscience supérieure de ce qu’est la Vie.
A mesure qu’un nombre de plus en plus grand d’entre nous intégrera cette conscience, nous nous rapprocherons de la « masse critique ».
Pour cela, nous devons nous rassembler et choisir d’évoluer consciemment, dans la « cocréation », vers un nouveau monde, notre monde.
Lorsque cette masse critique sera atteinte, les choses changeront de façon soudaine et irréversible et l’Humanité dans son ensemble basculera dans un nouveau paradigme.
Et si notre action individuelle, induite par une évolution de notre mentalité, peut changer le paradigme existant, pourquoi ne pas devenir un maillon solide, de contribuer à l’évolution, et d’être le « centième singe »?
© Geneviève SCHMIT
février 2013
Sources:
http://www.icem-pedagogie-freinet.org/sites/default/files/N90_HArendt.pdf
http://www.aifris.org/IMG/pdf/Duval_Michelle.pdf
http://fr.wikipedia.org/wiki/Femen
http://en.wikipedia.org/wiki/Ken_Keyes,_Jr.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Champ_morphog%C3%A9n%C3%A9tique
http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_centi%C3%A8me_singe
Vidéos (explications du phénomène aux accents New Age)
http://www.youtube.com/watch?v=1wQ4dSKDWVc
Pour aller plus loin
http://www.hundredthmonkey.net/
http://o-pied-humide.over-blog.com/article-la-theorie-du-centieme-singe-71068192.html
http://coachingentreprise.wordpress.com/category/neuroscience-2/
http://www.sceptiques.qc.ca/dictionnaire/monkey.html
[1] Certains la qualifient de légende urbaine, en raison du manque de sources authentifiant les conclusions de l’étude mentionnée.
[2] Voir article Wikipédia
[3] docteur en biologie anglais ayant développé le concept de » résonance morphique » et dont les travaux suscitent la polémique dans la communauté scientifique
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Bonjour Mme SCHMIT,
Je viens de découvrir votre article et je suis vraiment ravie de la façon dont vous avez traité le sujet !
Je vous contacte donc pour vous demander la permission de le diffuser sur notre site web
bien amicalement
anne Gannat pour ACCROIS
Bonjour,
Je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à mon travail.
Je suis honorée par le fait que vous désiriez diffuser cette réflexion sur la masse critique.
Pourrez vous me donner le lien du site vers lequel vous souhaitez le poser ?
Amicalement, Geneviève SCHMIT
Fabuleux article !