Résidence alternée – Article du Nouvel Observateur

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Garde alternée

Résidence alternée : "Les jeunes enfants en souffrent"

Maurice BERGER - pédopsychiatre

L'enfant et la souffrance de la séparation - Maurice BERGER

Ancien chef de service en psychiatrie de l’enfant au CHU de Saint-Étienne, ex-professeur associé de psychologie à l’Université Lyon 2 , et psychanalyste.

Après avoir fait ses études de médecine à Lyon et passé le concours d’interne des Hospices Civils de Lyon en 1970, le docteur Maurice Berger se spécialise en psychiatrie générale en 1975, puis en pédopsychiatrie en 1977. Il est ensuite assistant-chef de clinique en psychiatrie adulte pendant deux ans et demi, puis, en 1979, chargé de fonder le service de pédopsychiatrie du CHU de Saint Etienne. Il crée deux hôpitaux de jour, une unité de Placement Familial Thérapeutique, et une Unité d’Hospitalisation à Temps Complet pour enfants âgés de 2 à 12 ans, dédiée en grande partie aux soins des enfants très violents.

Publié par le Nouvel Obs le 19 mai 2014 à 10h31

La loi famille pourrait favoriser la résidence alternée.
Un mode de garde nocif pour les plus jeunes enfants selon Maurice BERGER, pédopsychiatre.

Garde alternée, un mode de garde nocif pour les jeunes enfants, selon Maurice BERGER

Médecins, pédiatres, psychiatres, professionnels de l’enfance : ils sont 4.400 à avoir envoyé une pétition aux députés pour s’opposer à la résidence alternée. Un mode de garde qui concerne actuellement 17 % des enfants de moins de 5 ans dont les parents sont séparés, et qui selon eux pourrait être favorisé par la loi famille, examinée à partir du lundi 19 mai à l’Assemblée nationale. Ce que réclament les signataires : l’interdiction pure et simple de ce partage du temps à 50-50 pour les enfants de moins de six ans, « sauf accord librement consenti par les deux parents. » Pour Maurice Berger, chef de service en psychiatrie de l’enfant au CHU de Saint-Etienne et signataire de la pétition, la résidence alternée fait courir un risque pour le développement de l’enfant. Interview.

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En tant que pédopsychiatre, avez-vous déjà été confronté à des enfants souffrant de la résidence alternée ?

– Oui, en consultation, on voit énormément de jeunes enfants en résidence alternée qui le vivent très mal. Ils représentent environ 20 à 25% des enfants qui consultent en libéral. Ils ont des difficultés pour s’endormir, sont angoissés, s’accrochent à leur mère. Face à eux, on se sent vraiment démuni. Comment savoir que leur mal-être est lié à la résidence alternée ? Plusieurs études le prouvent. Une recherche menée en France sur le sujet montre que chez ces enfants, les troubles s’arrêtent quand la résidence alternée cesse.

Une étude australienne menée sur plus de 2.000 enfants a aussi mis en évidence l’impact de la généralisation de la garde alternée sur les plus jeunes. Le territoire australien est si grand que les enfants font parfois 3 ou 4 heures d’avion pour faire la navette entre les deux domiciles ! Dans cette étude, on se rend compte que ces enfants sont victimes de troubles du sommeil, d’asthme, de pleurs à répétition, qu’ils ont peur de la séparation. Plus tard, ils souffrent souvent d’hyperactivité et leurs angoisses persistent, alors que chez les enfants en hébergement principal chez un de leurs parents, ces troubles s’atténuent.
L’argument de ceux qui défendent la résidence alternée est pourtant de dire qu’elle va dans le sens de l’intérêt de l’enfant. N’est-ce pas paradoxal ?

– Tous les projets de loi se disent « dans l’intérêt de l’enfant », l’intérêt de l’enfant est mis à toutes les sauces. Quand un père monte sur une grue, il dit que c’est dans l’intérêt de l’enfant. C’est moi qui ai rédigé l’amendement de la loi de 2007, réformant la protection de l’enfance et qui donne une définition très précise de l’intérêt de l’enfant : il dit qu’agir dans l’intérêt de l’enfant, c’est protéger son développement physique, intellectuel, social et affectif.

C’est aussi ce que dit la Déclaration internationale des droits de l’enfant, dans son principe 2 : la loi doit tout faire pour que l’enfant se développe « d’une façon saine et normale ». C’est à l’Etat de protéger l’enfant, en garantissant que ses besoins soient satisfaits. Les moins de 4 ans, par exemple, ont besoin d’une figure d’attachement sécurisante, d’une personne qui leur donne un sentiment de sécurité. Cela ne veut pas dire qu’ils aiment plus un parent qu’un autre, mais qu’il y a un parent plus fixe, plus stable. C’est pour cela que l’enfant supporte mal l’alternance entre deux parents.

Le projet de loi veut instaurer une « double domiciliation », de relier les enfants à la fois à l’adresse de leur père et à celle de leur mère. Est-ce pour vous une manière de promouvoir de manière détournée la résidence alternée ?

Sur ce point, le projet de loi est plus que tendancieux. Déjà, la double-domiciliation va tout conflictualiser : on se demandera « pourquoi telle école », « pourquoi tel pédiatre » ? Tout va faire l’objet d’un conflit. Mais surtout, quand on lit l’exposé des motifs, on se rend compte que le projet parle d' »alternance des temps de résidence », de « relations équilibrées et régulières » avec les deux parents. Il est aussi précisé qu’il n’y aura plus de droit de visite du parent qui reçoit l’enfant pour une durée inférieure à l’autre parent. Cela a été édulcoré par les amendements, mais l’idée est toujours la même : on parle bien de résidence alternée sans dire son nom. Les députés écologistes, qui défendent le projet, ont d’ailleurs fait passer un texte au Sénat en septembre dernier qui favorise la résidence alternée. On n’est pas dupe !

Vous demandez « l’interdiction d’ordonner une résidence alternée pour un enfant âgé de moins de 6 ans ». Cela veut dire qu’après cet âge la résidence alternée est mieux vécue ?

On se rend compte qu’avant 6 ans, beaucoup d’enfants ressentent la résidence alternée comme une perte répétée des personnes et des lieux, comme un traumatisme, alors qu’ils ont besoin de stabilité. Après 6 ans, la résidence alternée est mieux tolérée si elle est flexible, même si plusieurs études montrent que les plus de 6 ans préféraient vivre chez un seul de leur parent. Même les ados en résidence alternée disent souvent qu’ils ont hâte d’être à la fac pour ne plus avoir à subir tout ça ! Mais on ne peut pas être sous tous les fronts. On essaye d’abord de protéger les plus petits, car eux, on n’arrive pas à traiter leurs troubles.

Les partisans de ce projet disent que la loi permettra de rééquilibrer l’autorité parentale, et d’améliorer les relations parents-enfants. Pas pour vous ?

L’autorité parentale est déjà dans la loi. Le lien de filiation juridique aussi, il est inscrit dans l’état civil, par le biais du nom du père et de la mère. L’autorité parentale est déjà rigoureusement partagée, hébergement ou non ! Les études l’ont prouvé : ce n’est pas de voir plus le père qui améliore la relation de l’enfant avec lui. Ce qui compte, c’est la qualité, pas la quantité. C’est en ayant une bonne relation avec son père que l’enfant aura ensuite envie de passer plus de temps avec lui ! Quand on parle des relations parents-enfants, on a aussi tendance à oublier que les relations avec le père et celle avec la mère ne sont pas équivalentes : le père et la mère n’ont pas le même genre de relation avec leur enfant, la mère est souvent plus sécurisante, plus rassurante. C’est ce dont un jeune enfant a besoin pour se développer.

Si ce n’est pas par le biais de la résidence alternée, comment empêcher que certains pères soient privés de leurs enfants ?

Dans une proposition de loi sur la résidence alternée à laquelle j’ai participé en 2011, on proposait d’établir un « principe de progressivité ». C’est un calendrier déjà utilisé par plusieurs tribunaux en cas de situations conflictuelles, mais il peut être assoupli et s’adapter à d’autres situations. Le principe, c’est que si la garde est accordée à un parent, l’autre parent a un droit de visite fréquent et progressif : on commence par une demi-journée, puis une nuit, puis un week-end, puis éventuellement une garde alternée. Cela permet à l’enfant de se sentir en sécurité, de mieux le vivre.

Il faut bien avoir à l’esprit que les « pères grues », c’est une minorité. La grande majorité des pères acceptent de ne pas voir leur enfant. Evidemment, ils en souffrent, mais ils savent que c’est mieux pour leur enfant, que leur relation avec leur fils ou leur fille n’en sera que meilleure. L’important, c’est vraiment que les aménagements soient fait pour l’enfant, et non pour répondre aux désirs des parents.

Propos recueillis par Juliette Deborde – Le Nouvel Observateur

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