Humanité Quotidien 16 Mars, 2012
Garde alternée
Bernard Golse, médecin, pédiatre, pédopsychiatre.
Serge Hefez, psychiatre, psychanalyste.
Jacqueline PhÉlip, sage-femme, présidente de l’association l’Enfant d’abord.
Rappel des faits
Fin octobre 2011, le député Richard Maillé (UMP-Droite populaire) a déposé une proposition de loi visant à faire de la garde alternée le mode de garde des enfants par défaut en cas de divorce des parents. Initiative qui continue à soulever la polémique.
Jugeant anormal que moins de 14 % des divorces débouchent sur une décision de résidence alternée alors que la loi pose que « l’enfant doit bénéficier de la présence de ses deux parents », une centaine d’élus ont estimé que les juges devraient, même en cas de désaccord entre les parents séparés, « examiner prioritairement la possibilité de fixer l’hébergement de l’enfant de manière égalitaire entre ses deux parents ». Un traitement qui n’a que les apparences de l’égalité, dénoncent les détracteurs de ce mode de garde. Égalité de résidence ne veut pas dire égalité de présence. La résidence alternée est destructrice pour les tout-petits, dénoncent les associations comme Enfance et partage. La réponse idéale n’existe pas. Hors du débat, point de salut. D.S.
La résidence alternée est-elle la solution idéale pour tous les enfants après un divorce ?
Bernard Golse. Il ne s’agit évidemment en rien d’une solution idéale, valable dans tous les cas et qui aurait une sorte d’efficacité absolue Faut-il imposer la résidence alternée par elle-même. Tant s’en faut ! Il faut beaucoup de conditions pour que cette solution soit fructueuse, nous y reviendrons ci-dessous, et le premier point est qu’elle doit être choisie par les parents et non pas imposée. Elle doit être le fruit d’un dialogue, et imaginer qu’elle puisse être imposée est un véritable non-sens.
Jacqueline Phélip. Alors que la loi de mars 2002 entendait rétablir la place du père au sein de la famille désunie, le concept de résidence alternée s’est inscrit non seulement dans l’optique que père et mère seraient interchangeables, mais dans la perspective d’une place du père dont l’efficience ne pouvait se réaliser que dans un temps égal à celui passé par l’enfant chez sa mère. L’idée originelle et louable qu’un enfant doit être éduqué par ses deux parents s’est traduite dans les faits par : chaque parent aura sa « moitié d’enfant ». Partager la vie d’un être humain, enfant au cerveau immature de surcroît, en deux parties égales n’a rien de banal ou d’anodin. Un enfant ne peut être ravalé à un bien de la communauté réduite aux acquêts qu’on se partage avec les meubles, pas plus qu’il ne peut être assimilé, au nom de l’amour que ses parents lui portent, à une part de gâteau à partager équitablement entre eux. D’autant que si la résidence alternée garantit un partage égal des domiciles parentaux, elle ne garantit jamais une égalité de présence, d’implication ou de soin aux enfants, les pères confiant ceux des plus jeunes à la grand-mère paternelle ou à la nouvelle conjointe dans la majorité des cas. Un enfant a des besoins spécifiques qui lui sont propres, qui varient avec l’âge et qui ne sont pas toujours congruents avec ceux de ses parents. Mais il est essentiel qu’ils soient respectés.
La seule question qui vaille n’est donc pas d’être « pour » ou « contre », mais de connaître les conditions sine qua non requises pour qu’un enfant ne pâtisse pas, et parfois gravement, d’un tel mode de vie auquel on le soumet.
Serge Hefez. La résidence alternée ne peut convenir à tous les enfants. On ne peut pas non plus parler de solution idéale, qui n’existe pas d’ailleurs. Chaque séparation demanderait d’être analysée, décryptée, pour savoir ce qui correspond le mieux à cette situation conjugale et familiale. Mais la garde alternée est insuffisamment proposée en France. Il y a pas mal de pays européens où la résidence alternée est le mode de résidence normal après une séparation. Les parents sont alors quittes à faire la preuve que cela ne leur convient pas ou à demander d’autres modes de résidence. En France, c’est l’inverse : les parents doivent faire la preuve et être très convaincus que c’est ce mode de résidence qui leur convient. Un grand nombre de conditions doivent être absolument remplies par les parents pour que le juge décide de la mettre en place. Quand les parents sont en conflit ou ne sont pas d’accord, il existe deux alternatives. Dans le cas le plus fréquent, le père réclame la résidence alternée qui est refusée par la mère. En France, le juge alors va s’opposer à la résidence alternée du fait du conflit. En Belgique, au Danemark ou en Italie, le juge renvoie les parents devant un médiateur pour qu’ils essaient de se mettre d’accord et ainsi s’assurer que la résidence alternée ne convient pas. Toute séparation étant conflictuelle, cela explique l’énorme différence entre la France et les pays nordiques en ce qui concerne ce mode de garde.
14 % seulement des parents divorcés l’utilisent, surtout dans les milieux sociaux favorisés. Une loi pourrait-elle faire bouger cette réalité ?
Serge Hefez. La loi peut considérablement faire évoluer les choses. En Belgique, la loi a décidé que la résidence alternée était le mode normal après une séparation, elle est passée de 15 % à 80 %. Cette évolution n’a pas créé plus de difficultés qu’auparavant. La loi est incitatrice, elle crée des normes. Elle normalise une situation qui est, précédemment, marginale. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut obliger les parents à mettre en place la résidence alternée. Là, on marcherait sur la tête. Seulement, si elle apparaît comme une norme de séparation, cela amènera à réfléchir davantage. Chaque mode de résidence a ses avantages et ses inconvénients. Le grand problème, en France, est que, à l’heure actuelle, avec le mode de résidence classique – un week-end sur deux et la moitié des vacances –, énormément de pères perdent le contact avec leurs enfants. C’est une relation qui se désinvestit de part et d’autre. Et si on marche vers l’égalité de sexes – ce à quoi j’aspire –, l’égalité des chances dans le monde du travail, etc., on ne peut que remarquer que la résidence classique resitue la mère comme étant davantage le parent que le père, ce qui est un handicap dans le monde professionnel.
Bernard Golse. La loi ne peut qu’aboutir au fait que les juges l’imposeront en quelque sorte par défaut, et sans prendre en considération les éléments propres à chaque situation. Il ne s’agit donc pas d’obtenir que cette disposition soit utilisée dans un maximum de cas, il s’agit d’obtenir qu’elle soit utilisée dans les cas qui s’y prêtent, que ces cas représentent 14 % des divorces, ou plus ou moins.
Jacqueline Phélip. Il faut avoir à l’esprit que la loi de mars 2002 ne contient aucun garde-fou, aucun critère qui permette aux magistrats de prendre les moins mauvaises décisions pour les enfants, et nombre d’entre eux ont, en outre, une présomption en faveur de la résidence alternée. Par ailleurs, les magistrats ne connaissent que le droit, alors que le législateur leur demande quasiment de « faire » dans la pédopsychiatrie. La notion d’imposition par un juge d’une solution qui implique pour sa réussite une entente du couple et une véritable coopération parentale est un paradoxe qui ne peut conduire qu’à des échecs et à une maltraitance parfois sévère sur les enfants. Tant que les magistrats n’auront pas davantage de moyens, tant que leur formation ne comprendra pas des cours sur le développement infantile, tant qu’un enfant, sous couvert de son « intérêt », sera considéré comme un objet qui appartient à ses parents, tant qu’aucun organisme, aucune structure ne permettra de savoir comment et par qui est réellement pris en charge un enfant, et un suivi de ce dernier, la résidence alternée ne devrait jamais pouvoir être imposée sans l’accord des deux parents, surtout et particulièrement pour les jeunes enfants. Et plus l’enfant est petit, plus le rythme d’alternance doit être ajusté. Il en est de même pour les transferts de garde des tout jeunes enfants qui ne sont pas justifiés par une déficience parentale de la figure principale d’attachement. Des solutions alternatives existent qui préservent l’enfant à tout âge, mais également chaque fonction parentale.
Quelles sont les conditions pour que ce mode de garde fonctionne ?
Jacqueline Phélip. L’âge de l’enfant est un critère de première importance : en dessous de trois-quatre ans, les enfants devraient en être exclus, et particulièrement si les parents ne sont pas à même de coordonner les habitudes routinières de l’enfant. Pour autant et au-delà, il est crucial que les parents s’entendent suffisamment pour pouvoir établir une réelle coopération parentale, mais aussi assurer une cohérence éducative. Cependant, il est nécessaire de souligner que, même en résidence alternée organisée à l’amiable par les parents, des pédopsychiatres observent dans ce contexte, à partir de processus thérapeutiques, des troubles affectifs importants chez des enfants.
Serge Hefez. Pour les bébés et les enfants très jeunes, avant la deuxième année, on ne peut imaginer poser une séparation d’une semaine. Il faut mettre en place les choses très progressivement, tenir compte de l’attachement très privilégié du tout-petit à sa mère. Et il y a des conditions matérielles à réunir : que chaque parent ait un appartement suffisamment grand pour accueillir ses enfants, ce qui n’est pas simple. Que leurs activités professionnelles soient compatibles avec ce mode de garde. Et que les lieux de résidence des deux parents soient suffisamment proches. Cela explique que la garde alternée soit plus appliquée dans les milieux favorisés. Quoi qu’il en soit, la résidence alternée aura bien plus de chance de fonctionner si les parents sont d’accord et qu’ils communiquent harmonieusement autour de ce qui se passe pour les enfants. Si ce n’est pas le cas, aucun mode de résidence ne fonctionnera correctement. Il vaut mieux, à ce moment-là, prescrire, voire imposer des modes de médiation qui vont permettre aux parents de s’entendre un petit peu mieux. L’idéal serait d’ailleurs que la loi institue ces modes de médiation, qu’il y ait une incitation très forte à avoir recours à un médiateur. Même quand les parents ne s’entendent pas trop mal, cela peut être utile.
Bernard Golse. Il importe que l’enfant ait plus de trois ans environ afin que son espace de sécurité interne soit suffisamment établi et que sa figure primaire d’attachement soit suffisamment stabilisée. Il importe également que les deux parents souhaitent mettre en œuvre cette modalité, qu’il existe entre eux un dialogue suffisamment calme, que les domiciles des deux parents soient suffisamment proches afin d’éviter à l’enfant de faire un nombre excessif de kilomètres lors de chaque changement de résidence, et que le rythme de l’alternance, enfin, ne soit ni trop court (pas moins d’une semaine) ni trop long (pas plus de deux ou trois semaines).
Existe-t-il un moyen universel pour préserver les enfants après l’éclatement du noyau familial ?
Bernard Golse. Un moyen universel, je ne sais pas, mais il est important de parler aux enfants, de leur faire comprendre l’irréversibilité de la séparation, de leur dire qu’ils ne sont en rien responsables de cette séparation, qui est toujours une affaire de grandes personnes, et que si les parents ne sont plus un homme et une femme qui s’aiment, ils demeurent des parents qui sont heureux que leur enfant soit né et auquel ils continueront, toute leur vie, d’apporter attention, stabilité et sécurité.
Jacqueline Phélip. La garde alternée ne saurait être ce moyen. Dans les pays où elle a été promue, après l’engouement initial, tous reviennent peu ou prou en arrière. La Californie, qui fut le premier pays à adopter une loi en faveur de la résidence alternée égalitaire, a fait marche arrière en 1994 et a amendé sa loi pour ne plus valider que les « gardes physiques conjointes », demandées conjointement et librement par les deux parents. Le Danemark vient à son tour de légiférer dernièrement pour que le « 50/50 » ne puisse plus être imposé. La Suède elle-même a pris ses distances depuis longtemps avec ce mode d’hébergement, quand, aux États-Unis, les « gardes physiques partagées » ne représentent que 14 % en moyenne, alors même que ce système existe depuis plus de trente ans et que « garde physique partagée » ne signifie pas, ni forcément ni souvent, un temps égalitaire.
Serge Hefez. Le moyen universel, c’est que les parents soient suffisamment intelligents pour ravaler leurs conflits et faire en sorte de proposer aux enfants un mode d’éducation et de relation qui soit cohérent. Où chacun ne disqualifie pas ce que l’autre fait. C’est le mode universel pour préserver les enfants, que ce soit dans le cadre de la résidence alternée ou classique. C’est toujours ça qui est le plus important.
URL source: http://www.humanite.fr/societe/faut-il-imposer-la-residence-alternee-492395
Septembre 2017
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