« Il me fait passer pour une folle »
Un article de l’Express
Comme chez tant d’autres femmes harcelées dans le secret de leur foyer, ses plaies sont invisibles. La notion même de »violence psychologique » est d’ailleurs toute neuve, puisque la loi ne la punit officiellement que depuis le 9 juillet
Par Annabel Benhaiem, lexpress.fr le 27/11/2010La loi sanctionne enfin les violences psychologiques entre conjoints.
Denise, 50 ans, est aux prises avec son ex-compagnon, un manipulateur dangereux et hors-norme.
Récit d’un enfer.
« Je l’ai rencontré vers l’âge de 20 ans, il était ami avec mon petit copain de l’époque. C’était un garçon discret, toujours très attentionné, comme un bon copain qui prend de vos nouvelles régulièrement, sans arrière pensée.
Dix ans plus tard, j’ai perdu mon père, ma mère et ma grand-mère, en trois semaines. J’étais totalement paumée, je ne savais plus à quel Saint me vouer. J’étais aussi célibataire depuis 5 ans. Son réconfort m’a été très précieux. A ce moment-là, il a commencé à me draguer. A m’offrir des fleurs, à m’aider à remplir mes feuilles d’impôts… A force, j’ai fini par céder. Peut-être un peu poussée par mes copines, qui me serinaient sans cesse pour que je me case. Elles insistaient: « Qu’est-ce que tu cherches? Tu as face à toi un garçon adorable, attentionné? » Je n’étais pas amoureuse, mais je me suis dit que ça viendrait…
Je ne l’ai jamais connu avec une fille. Je crois même avoir été la seule et l’unique – il est d’ailleurs complètement coincé sur le plan sexuel. Mais à l’époque, je ne recherchais pas un étalon. Il était très proche de sa mère et son frère, cela m’a rassuré aussi. Son air de gros nounours, sa nature calme, me sécurisaient. Il était souvent d’humeur joyeuse, du moins, au début. Il aimait rire et n’élevait jamais la voix. Les quatre premières années de notre relation se sont déroulées sans encombre, hormis de légers conflits avec sa famille, sans conséquence, pensais-je.
Femme à bout de nerfs
Qui pourrait imaginer, en la voyant assise au bord de sa chaise à la terrasse d’un bistro parisien, que cette chargée de clientèle dans l’immobilier, grande brune apprêtée dégageant une assurance tranquille, peut fondre en larmes à tout instant ? Pourtant, à la simple évocation de son calvaire, cette quinquagénaire aguerrie s’effondre. Sur son corps, point de trace de coups, ni de cicatrices. Comme chez tant d’autres femmes harcelées dans le secret de leur foyer, ses plaies sont invisibles. La notion même de « violence psychologique » est d’ailleurs toute neuve, puisque la loi ne la punit officiellement que depuis le 9 juillet…
« Pour me préserver, je suis obligée de mettre toute cette histoire de côté, dans un coin de ma tête. Mais en réalité, elle ne me quitte jamais », chuchote Denise*, les yeux baissés. Son récit est décousu, entrecoupé par les souvenirs de maltraitance qui s’entrechoquent, mais rapidement, un fil conducteur se dessine: elle est depuis 20 ans aux prises avec un homme dangereux, qui, après l’avoir convoitée et séduite, s’est mis à l’humilier, la dégrader, la terroriser, avant de la couper de tous ses proches. Sept ans après leur séparation, son emprise est toujours prégnante. Denise* ne vit plus, persuadée que le pire est encore à venir. Tout au long de l’entretien, elle ne prononcera jamais le prénom de son ex-compagnon. Elle tiendra aussi fermement à garder son anonymat.
A.B.
*Les prénoms ont été modifiés.
« Si t’es avec moi, c’est parce que t’es trop vieille »
Vers mes quarante ans, il y a un tournant. Je me rends compte que j’ai du mal à tomber enceinte. Il ne le supporte pas et me rabaisse: « Si t’es avec moi, c’est parce que t’es trop vieille, tu n’aurais pas ta chance avec d’autres. » Quelques mois avant la naissance de notre fille, Manon*, l’histoire vire au vinaigre.
Les remarques se font de plus en plus blessantes. Quand on reçoit du monde à la maison, il se montre toujours calme et gentil, mais, dès que les invités passent le pas de la porte, il se transforme en mec odieux, persiflant que ma cuisine est dégueulasse ou que je ne sais pas recevoir. Il me dit que je lui fais honte. Puis il compense par une serviabilité à toute épreuve… Du coup, j’encaisse.
Il dit à notre fille: « Tu as vu comme ta mère est folle? »
Dès les premiers jours de ma fille, il l’utilise contre moi, pour me blesser ou m’effrayer. Il la met sur le rebord d’une piscine, lui lâche les bras et se détourne d’elle. Pour me narguer, il me lance: « Je ne la surveille pas… » Tout cela devant des amis, qui semblent n’y voir que de l’humour. Moi, je passe pour l’anxieuse de service, qui ferait mieux de se détendre.
Lors d’un voyage en Dordogne, quelques années après, il décide, pour une raison obscure, de ne pas m’adresser la parole tout le long du séjour. Nous nous parlons par l’intermédiaire de notre fille. Dix jours passent, insupportables. Je finis par exploser. Pour toute réaction, il regarde Manon et lui dit très calmement: « Tu as vu comme ta mère est folle? » Puis, il s’empresse de tourner les talons, m’empêchant de surenchérir.
Dans la phase où notre couple est encore vivable, je suis sur le point de me faire licencier. Il propose de négocier mon départ à ma place. Connaissant ses facultés à embrouiller tout le monde, je le laisse faire. Après l’entretien, le DRH me dit: « Votre type, il est très fort« . Étrangement, cela ne me fait pas plaisir. Je réalise à ce moment là que je l’ai laissé entrer trop loin dans mon univers. Mais seulement après-coup… D’instinct, je me dépêche de trouver un autre job.
Dans son livre Femmes sous emprise, les ressorts de la violence dans le couple (2005, Oh ! Editions), la psychologue Marie-France Hirigoyen distingue très clairement les conflits de couple, qui peuvent être explosifs, du véritable harcèlement moral entre conjoints. Selon ses observations, un harceleur conjugal réunit l’ensemble des critères suivants:Où finit la dispute, où commence le harcèlement ?
Elle rappelle également que les violences psychologiques ne font pas de distinction de sexe. Elles touchent autant les femmes que les hommes.
« Il nie parfois qu’il vient à l’instant de m’insulter »
A.B. Juste avant notre séparation en 2003, les violences verbales montent crescendo. Il recourt au chantage et profère des menaces, mais jamais suffisamment claires pour que je puisse porter plainte. Quand je lui demande de revenir sur ses paroles, de s’expliquer sur son comportement, il rejette la faute sur moi. C’est moi et seulement moi la responsable de ses accès furibonds. Pire, il nie qu’il vient de m’insulter. Il dément en bloc ses paroles, proférées quelques minutes plus tôt.
Je finis par me mettre en question. Peut-être est-ce moi qui suis trop pointilleuse… Sa mauvaise foi ne serait-elle qu’un jeu? Il sème une telle confusion dans mon esprit que j’ai du mal à distinguer la réalité de sa puissance manipulatrice.
« Il me fait passer pour une dingue«
Poussée à bout, je crois naïvement qu’en consultant un thérapeute de couple, on pourra effacer les malentendus. Or, c’est à ce moment précis qu’il met tout en oeuvre pour me faire passer pour une dingue.
Face au psychologue d’abord: dès que j’ouvre la bouche pour faire part de ma détresse, il hausse les sourcils, l’air surpris, et laisse croire que j’invente tout. Il ose soutenir mordicus que mon père était alcoolique, alors qu’il ne l’a jamais été. Surement pour suggérer que je suis moi aussi portée sur la boisson.
« Il a saisi 6 fois le juge aux affaires familiales«
Face au juge ensuite… Au fur-et-à-mesure des séances, je vois un autre danger poindre: il veut la garde de Manon. En procédurier compulsif, il use de tous les stratagèmes juridiques pour accréditer ma prétendue folie. Mais il ne trompe pas les magistrats.
Au moment de notre séparation, qui prend un temps fou, il saisit six fois le juge aux affaires familiales. Devant lui, il prend ses airs de gros nounours pour l’amadouer et contraster avec mon anxiété, que je ne parviens plus à dissimuler.
« Je change les serrures, il défonce la porte au chalumeau et vide la maison«
Après notre séparation effective, il ne dort plus à la maison, mais laisse chez moi toutes ses affaires. Et lorsqu’il revient à l’improviste chercher des choses, il envoie systématiquement une lettre au juge, en copie à son frère, pour faire état de ma soi-disant incapacité à m’occuper de Manon.
Excédée et surtout effrayée de ce qu’il est susceptible de manigancer, je finis par changer les serrures. Ca le met hors de lui. Un soir, en rentrant chez moi, je découvre que ma porte a été ouverte au chalumeau. Je la pousse doucement et me retrouve face à… un appartement vide. Il n’y a plus rien. Sauf deux matelas. Celui de Manon et le mien. J’appelle la police, fais un constat, écoute des témoins, pendant que des amis, alertés, viennent pleurer avec moi.
« 34 appels en absence sur le portable de sa fille…«
Ajoutez à cela le fait qu’il m’envoie chaque jour un courrier, long de cinq pages, écrit en caractères gras, la plupart des phrases soulignées plusieurs fois. Dans ces lettres, il me dépeint comme folle, évidemment, m’explique que Manon n’est pas heureuse avec moi, que je ne suis pas suffisamment stable pour elle. Il me raconte par le menu toutes les procédures judiciaires qu’il est capable d’enclencher pour anéantir ma vie.
Oui, je crois que c’est ça. Son objectif est de m’anéantir.
Le voilà maintenant qui veut changer les jours de garde de notre enfant. Il demande à ce qu’elle soit auditionnée par le juge, afin qu’à 8 ans, elle explique qu’elle préfère son père. Il insiste comme un dingue, me harcèle de coups de fils, de textos, d’e-mails. Je finis par accepter, bien que terrorisée à l’idée que Manon récite ce que son père lui aura dicté. Avant l’audience, il laisse 34 appels en absence sur le téléphone portable de ma fille.
Agréable surprise, Manon assure au juge qu’elle ne veut pas changer de mode de garde. 8 jours chez l’un, 6 jours chez l’autre et basta. Il commence alors à mettre en doute sa capacité de jugement: elle n’est qu’une enfant. Le plus cocasse, c’est que quelques jours auparavant, il soutenait qu’elle avait voix au chapitre, puisque suffisamment mature pour son âge.
C’est en m’arrêtant par hasard dans une librairie que je suis tombée sur le livre de Marie-France Hirigoyen sur le harcèlement (voir encadré). Ce fut un choc. C’est lui, mon ex, qu’elle décrit. Je suis épuisée psychologiquement et je sais qu’il ne lâchera pas prise avant longtemps, mais ce livre m’a ouvert un petit peu l’horizon. »
La reproduction intégrale de mon écrit est autorisée. Cependant, mon nom complet ainsi que le lien actif de la page du site internet http://soutien-psy-en-ligne.fr ou/et https://pervers-narcissiques.fr est obligatoire. Vous remerciant de votre compréhension ainsi que de l’intérêt porté à mon travail, Geneviève Schmit. . . © Geneviève Schmit, experte dans l’accompagnement des victimes de manipulateurs pervers narcissiques. J’aurais grand plaisir à lire vos interventions sur le Facebook qui vous est dédié: Facebook pour les victimes de violence psychologique et de manipulation perverse. Soutien.Psy
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